Microbiologie prévisionnelle

 

L’intérêt de la prévision en microbiologie alimentaire :

               

                La microbiologie prévisionnelle est une discipline qui vise à développer des modèles mathématiques permettant de prévoir les aptitudes de croissance, survie ou décroissance des populations microbiennes dans les aliments en fonction des facteurs environnementaux influents.

                La sécurité et la qualité des aliments sont de plus en plus assurées par l’utilisation d’une démarche HACCP (Hazard Analysis Critical Control Points) qui cherche à maîtriser systématiquement l’incidence microbiologique de tout ce qui dans la fabrication peut contribuer à la contamination, à la destruction ou à la multiplication des contaminants.

                Cette démarche est facilitée si l’on est capable de modéliser le devenir des microorganismes. Cette méthode permet donc de répondre aux questions suivantes :

-          comment concevoir et fabriquer un produit offrant toute sécurité ?

-          comment modifier la composition d’un produit pour éviter un développement microbien indésirable sans nuire aux qualités organoleptiques ?

-          Quel niveau de contamination, quel facteur de multiplication peut on tolérer aux différents points de la chaîne ?

Cette prévision est basée sur un modèle, c'est-à-dire un système établissant une correspondance entre un ensemble de conditions et une cinétique d’évolution de la population microbienne significative.

  

Principe de la méthode :

 

                La  microbiologie prévisionnelle permet de construire une courbe de croissance microbienne qui dépend d‘un ensemble de facteurs. On pourrait penser qu’il est possible de relier directement l’intensité de ces facteurs à la courbe. Cependant, c’est difficile car la courbe dépend de paramètres caractéristiques qui dépendent eux-même de facteurs différents selon des lois différentes. On préfère donc exprimer ces paramètres en fonction de leurs facteurs déterminants.

                On en distingue trois principaux :

-          Le temps de latence λ qui dépend de l’état initial des microorganismes et des caractéristiques de leur environnement.

-          Le taux de croissance exponentielle μ qui dépend essentiellement des caractéristiques de l’environnement.

-          Le maximum A relié à la concentration [L] du facteur limitant grâce au rendement f selon la relation A=k[L]

La connaissance de ces trois paramètres grâce aux différentes valeurs des facteurs du milieu permet de tracer la courbe.

Dans certains cas, on trouve une troisième possibilité qui consiste à exprimer directement le temps au bout duquel sera atteint le seuil d’effet (pour un inoculum donné), c'est-à-dire le temps nécessaire pour la multiplication par un  facteur déterminé (1000 par exemple).     

  

La démarche de modélisation :

 

               1 – Identification des paramètres limitant de la conservation du produit :

                 Puisqu’on cherche à déterminer une date limite de consommation (DLC), il faut déterminer ce qui limite la durée de conservation de cette sécurité et/ou cette qualité.

                Il faut donc répondre aux questions suivantes :

-          Quel est ou quels sont les microorganismes qui limitent cette durée ?

-          Quels sont les niveaux à ne pas dépasser ?

Par exemple, il ne faut pas dépasser 100 listérias par gramme d’aliment à la DLC.

 

               2 – Délimitation du champ de l’expérimentation

                 Elle procède en trois étapes :

-          sélection des facteurs à prendre en compte grâce à des données bibliographiques. On trouve notamment la température, le pH, l’activité de l’eau (aw), la présence d’inhibiteurs…

-          la détermination pour chaque facteur de la gamme des valeurs permettant la multiplication. Par exemple, pour Listeria monocytogenes, la croissance est possible entre 1 et 42°C.

-          la délimitation de l’étendue de variation possible dans les produits alimentaires. Plus le champ expérimental sera étroit et plus le modèle sera précis.

  

3 – Planification de l’expérimentation :

                 Pour chaque facteur, il faut par exemple décider du nombre de niveaux à tester , de la distribution de ces niveaux (progression arithmétique ou géométrique), du choix des combinaisons de facteurs (plans expérimentaux), des répétitions éventuelles.

 

                4 – Recueil des données :

                 Pour chaque ensemble de conditions retenues, on inocule un milieu de culture ajusté à ces conditions et on mesure l’évolution de la concentration microbienne en fonction du temps de façon à tracer une courbe de croissance.

                                 A – Le milieu de base :

                 L’idéal serait de prendre l’aliment considéré comme milieu de base. Cependant, la texture de l’aliment est en général peu adaptée à ce type d’expérience. On utilise donc des broyats ou des extraits liquides.

                Mais dans certains cas, ces extraits demeurent impropres à l’expérimentation : on s’oriente alors vers des milieux semi synthétiques riches.

 

                                B – L’inoculum :

                 L’inoculum sera constitué de l’espèce microbienne considérée.

                En général, on ne réalise pas de cocktail de souches mais plutôt plusieurs expérimentations mettant en œuvre des souches différentes. De plus, on choisit des microorganismes en pleine activité ou au moins aussi actif que dans l’aliment considéré.

                Enfin, la concentration microbienne à inoculer dépend de la méthode utilisée pour suivre la croissance.

 

                                C – La méthode de mesure :

                 Le dénombrement classique sur milieu gélosé est encore très courant. Cependant, cette technique se révèle longue et fastidieuse.          

                Deux méthodes automatiques se développent actuellement : la turbidimétrie et l’impédancemétrie. Cependant, elles présentent deux inconvénients importants :

-          elles imposent des contraintes lourdes au choix du milieu (transparence, composition ionique).

-          Ce ne sont pas des méthodes de dénombrement :elles mesurent un paramètre de culture ayant un lien avec la concentration microbienne.

5 – Modélisation :

                 Il s’agit, à partir des données expérimentales, de construire un modèle établissant un lien entre condition expérimentale et croissance de façon à permettre la prévision. Le modèle doit pouvoir être défini par un nombre limité de paramètres, de préférence λ, μ et éventuellement A.

                La façon la plus simple de le faire consiste à revenir aux définitions habituellement admises de  λ, μ et de déterminer ces paramètres par la méthode graphique ou par des calculs statistiques (droite de régression).

 

Courbe de croissance d’une culture microbienne

 

                On utilise actuellement deux types de modèle pour décrire une cinétique de croissance                           dans des conditions données :

-          le modèle de Gompertz modifié : c’est un modèle purement empirique, qui ajuste en général les données de croissance observées de manière satisfaisante. Cependant, il présente un certain nombre d’inconvénients (surestimation du taux de croissance, l’ajustement ne peut être réalisé que si la cinétique de croissance est suivie jusqu’à la phase stationnaire…).

-          Le modèle de Barany, qui ajuste très bien les données de croissance généralement observées, est un peu moins empirique. De plus, il ne présente pas les inconvénients du modèle précédent.

  

6 – La validation :

Elle se réalise à deux niveaux :

-          la validation mathématique qui consiste à vérifier que les écarts entre les valeurs théoriques prévues par le modèle et des données obtenues dans les conditions qui ont servi à le construire ne sont pas excessifs.

-          La validation dans des produits qui consiste à vérifier que les écarts entre les valeurs théoriques prévues par le modèle construit à partir des données obtenues en conditions expérimentales et les valeurs réelles obtenues sur des produits industriels contaminés naturellement ne sont pas excessifs.

 

7 – Prévision : 

Si le modèle a été validé, il peut être utilisé pour la prévision, à condition de se limiter, pour ce qui concerne la variation des facteurs, à la gamme des valeurs comprises entre les valeurs qui ont fait l’objet de la validation. Il faut éviter l’extrapolation ou être conscient des risques qu’on prend en la pratiquant. L’extrapolation est impossible à cause du caractère empirique des modèles construits.

   

Applications, limites et perspectives

 

                1 – Les applications

                 Cette approche permet de concevoir un système de production minimisant les risques par des voies plus raffinées qu’un traitement thermique brutal ou un aditif à dose massive. C’est un outil précieux qui permet de se rapprocher d’un idéal consistant en ce que la qualité et la sécurité du produit soient garanties par sa conception même.

                Comme nous l’avons déjà dit, cette modélisation permet également de déterminer une DLC raisonnable ou encore d’adapter le processus et la formule à la DLC souhaitée. Il est ainsi possible de déterminer une DLC lors de la conception du produit et de la préciser par la suite grâce à des données réelles. 

                De plus, cette modélisation est précieuse lors de la mise en œuvre de la démarche HACCP, outil essentiel de l’assurance qualité. La microbiologie prévisionnelle intervient à différentes étapes de cette méthode :

-          analyse des étapes du processus de fabrication et localisation des points critiques.

-          Choix des critères à  appliquer à ces points critiques et des limites ou tolérances à leur affecter.

-          Détermination à l’avance des actions correctives à appliquer n cas de défaillances : nouveau traitement thermique, destruction…

-          Vérification et documentation. Ainsi, la modélisation peut permettre de monter à un inspecteur que le produit est sûr.

Cependant, les avantages que nous avons décrit précédemment ne sont pas encore tous pleinement réalisables. Il existe encore des limitations.

  

2 – Les limitations actuelles : 

On reproche souvent à la microbiologie prévisionnelle un caractère pessimiste. En effet, on considère qu’un modèle est valide s’il ne sous estime pas le risque. Mais le plus souvent, les valeurs observées sont très inférieures aux prévisions. Ainsi, les durées de conservation prédites sont très inférieures aux durées de conservation réelles, ce qui est pénalisant pour les fabricants.

Cet écart est du au fait que l’on utilise des systèmes simplifiés, qui ne tiennent pas compte de certains attributs caractéristiques des aliments pouvant freiner la croissance microbienne :

-          l’effet structure qui limite les transferts de matière

-          les phénomènes de compétition entre la flore banale et les pathogènes dont on cherche à modéliser la croissance.

-          La variabilité intersouches

-          L’histoire antérieure des microorganismes

-          Les très faibles nombres, en particulier de spores, dont la probabilité de germination est faible et variable.

Ainsi, pour tenter d’éviter ces écueils, l’utilisateur d‘un modèle devrait d’abord le valider sur son produit et son process ou considérer que la prévision n’est qu’une première estimation qu’il faut confirmer par des expérimentations directes.

  

3 – Perspectives : 

Dans les années qui viennent, la prévision de la durée de conservation, de la sécurité et de la qualité à partir des modèles, se développera à mesure que l’accès aux bases des modèles sera rendu plus aisé et que les modèles seront validés plus largement au niveau international.

Ainsi, même si l’accès à ces modèles deviendra plus facile, il faut rester très prudent car ils ne représentent que partiellement la réalité. En somme, il ne faut surtout pas considérer ces modèles comme des oracles, il s’agit plutôt de les utiliser comme des systèmes d’aide à la décision.

Par ailleurs, différents travaux cherchent à croiser les données issues de la microbiologie prévisionnelle avec d’autres disciplines comme la mécanique des fluides. Ceci permettrait notamment de déterminer des flux, de savoir comment les bactéries sont distribuées… Cette voie est sans doute l’une de celles qui permettront dans l’avenir de s’approcher de l’idéal de l’usine ultra propre.

De toute façon, une grande prudence est de rigueur lorsqu’il s’agit de prévoir le comportement des bactéries dangereuses comme Listeria ou Salmonella.