La croissance bactérienne
D'une manière générale, une bactérie donnée exige pour sa croissance optimum une température déterminée au-dessus et en dessous de laquelle sa multiplication est ralentie puis s'arrête.
Ces limites sont appelées températures maximum et minimum de croissance ; elles varient de façon plus ou moins étroites. La température maximum est généralement proche de la température optimum.
Un exemple est donné à la figure 1.
Figure 1 -
Influence de la température sur le taux de croissance d'une souche bactérienne
mésophile. Taux exprimé en % du taux maximum (D'après RIVIERE, 1975)
On observe que la température minimum se situe vers 6°C, la température maximum vers 38°C et la température optimum vers 30°C. A partir d'environ 10°C une légère élévation de la température entraîne une très forte augmentation du taux de croissance. Mais, plus on approche de la température optimum, plus l'augmentation du taux de croissance devient faible pour une élévation donnée de température. Au-dessus de la température optimum, une légère augmentation de chaleur provoque une rapide diminution du temps de croissance qui tend à devenir nul.
En fonction des limites de température entre lesquelles prolifèrent les microorganismes on en distingue trois groupes (tableau 4).
Tableau
4 -
Classification des microorganismes en fonction de leur température de développement |
||||
Microorganismes |
Température
de développement en °C |
|
||
Minimum |
Optimum |
Maximum |
|
|
Psychrophiles |
- 5 |
+ 5
à + 10 |
+ 20 |
|
Mésophiles |
+ 10 |
+ 30
à + 40 |
+ 45 |
|
Thermophiles |
+ 40 |
+ 50
à + 60 |
+ 75 |
|
Ces valeurs n'ont qu'un caractère général ; les températures indiquées peuvent, selon les espèces et les souches, subir des décalages. Dans chaque groupe, il existe des espèces ou des souches pour lesquels le caractère psychrophile, mésophile ou thermophile est strict alors qu'il est facultatif pour d'autres. La raison pour laquelle les bactéries ont des températures de culture différentes paraît être due, au moins en partie, à la stabilité thermique spécifique de leurs enzymes.
Lorsque l'on applique un chauffage de quelques minutes, la plupart des bactéries banales du lait, non sporulées, sont détruites. Toutefois un certain nombre d'entre elles peuvent subsister et se développer quand les conditions sont redevenues favorables. Par convention, on appelle bactéries thermorésistantes celles qui résistent à un chauffage de 72°C pendant 15 secondes ou à 63°C pendant 30 minutes.
Toutes les espèces et toutes les souches ne présentent pas le même caractère
de thermorésistance. Alors que certaines sont détruites par un traitement
classique de pasteurisation (chauffage à 72°C pendant 20 secondes), d'autres résistent
encore à 88°C pendant 20 secondes. Les bactéries thermorésistantes n'étant
pas détruites par la pasteurisation habituelle, leur présence dans le lait cru
peut avoir des conséquences graves pour la qualité des produits. C'est ainsi
que des Streptocoques et des Lactobacilles peuvent persister dans le lait
pasteurisé et provoquer son acidification et la coagulation de la caséine.
Certaines
bactéries (Bacillus, Clostridium) forment des spores dont la résistance
à la chaleur est supérieure à 100°C. Elles proviennent le plus souvent du
sol et des aliments ensilés. Leur présence dans le lait stérilisé, dans les
laits concentrés et certains fromages (fondus, pâtes, pressées) peut être
responsable d'altérations graves.
La multiplication des bactéries peut être considérable. Elle dépend de différentes conditions dont la température.
La croissance d'une bactérie placée dans des conditions idéales peut être définie par deux constantes :
- le temps de génération, c'est-à-dire l'intervalle de temps entre deux divisions successives ou celui nécessaire au doublement de la population. En partant d'une cellule bactérienne unique, ce dernier se fait selon une progression géométrique. Dans une population bactérienne toutes les cellules ne se développent pas au même rythme. Le temps de génération varie avec l'espèce considérée et les conditions de culture.
-
le taux de croissance est le nombre de division par unité de temps.
Autrement dit, il est l'inverse du temps de génération.
Si par exemple le temps de génération est de 20 minutes, en une heure le taux de croissance est de 3.
Le
développement d'une culture microbienne est habituellement représenté à
l'aide d'un graphique donnant le nombre de bactéries ou mieux le logarithme de
ce nombre en fonction du temps. C'est la courbe de croissance. Elle rend compte
du cours de développement de la culture considérée. Celui-ci reflète l'interaction
de la population bactérienne en voie de croissance et du milieu.
Après inoculation du milieu, quatre phases principales se distinguent dans toute courbe de croissance (fig. 2) :
Figure 2 -
Courbe de croissance généralisée d'une culture bactérienne (D'après STANIER,
DOUDOROFF, ADELBERG, 1966)
-
phase de latence. Pendant cette période le taux de croissance est nul
puis augmente légèrement. Elle traduit l'adaptation des bactéries au milieu.
Elle est sous l'influence de plusieurs facteurs :
·
les conditions
physico-chimiques du milieu : pH, température…
·
les caractères
propres des bactéries notamment leur état physiologique,
·
la composition du
milieu. Lorsque la population bactérienne ne trouve pas dans le milieu les
facteurs de croissance indispensables, elle est incapable de se développer. La
croissance ne peut alors débuter que si l'inoculum contient des cellules
mutantes, c'est-à-dire présentant brusquement une modification d'un caractère
transmissible héréditairement.
Selon ces facteurs, la phase de latence peut être plus ou moins longue : de deux à trois heures à plusieurs jours.
-
phase exponentielle ou logarithmique. Ici, les bactéries se multiplient
sans entrave ; le taux de croissance est maximum et constant, c'est-à-dire que
le taux de génération est minimum. Ce taux est caractéristique d'un
microorganisme donné qui est lui-même sous la dépendance des conditions
d'environnement comme la nature et la concentration des nutriments, le pH et la
température. Ces facteurs ont une grande influence. C'est ainsi que pour Escherichia
coli le taux de croissance est de 0,5 à 18°C et de 3, 3 à 40°C. Dans le
cas des bactéries thermophiles, la pente de la droite représentant la phase
exponentielle est habituellement plus forte que pour les mésophiles et plus
faible pour les psychrophiles et les psychrotrophes.
La croissance exponentielle est d'assez courte durée (quelques heures). Elle
est limitée par l'apaisement du milieu en nutriments ou par l'accumulation de
produits du métabolisme devenant toxiques au-delà d'une certaine
concentration.
Il est évident que la phase exponentielle de croissance d'une cellule ne peut être maintenue de façon continuelle. Si tel était le cas, une seule bactérie ayant un temps de génération de vingt minutes donnerait en quarante huit heures une descendance dont la masse totale serait approximativement quatre mille fois plus grande que celle de la terre !
- phase stationnaire maximale. Le milieu devenant de moins en moins favorable à la croissance, le nombre de cellules viables reste constant à sa valeur maximale, généralement pendant quelques heures ou même quelques jours. Ce phénomène traduit un équilibre entre le nombre de bactéries provenant de la multiplication et le nombre de celles qui meurent. Il peut aussi indiquer la persistance de bactéries vivantes en l'absence de toute multiplication. Il peut avoir plusieurs causes : épuisement en nutriments, accumulation de déchets toxiques, conditions d'environnement devenant défavorables (pH, température…).
-
phase de déclin ou de décroissance. Pendant cette dernière phase les
bactéries ne se reproduisent plus. Beaucoup d'entre elles meurent et sont décomposées
plus ou moins rapidement par les enzymes libérées au moment de leur mort. Ce
processus d'autodigestion constitue l'autolyse. Le taux de mortalité peut être
constant comme le taux de croissance. Il est alors représenté par une droite,
le nombre de cellules étant proportionnel au temps. La pente de cette droite dépend
de l'espace bactérienne ainsi que des conditions de l'environnement.
Cependant,
il peut se produire assez fréquemment des déviations de l'ordre exponentiel de
déclin en raison de divers degrés de résistance des cellules. Dans certains
cas aussi des bactéries peuvent survivre et se multiplier aux dépens des
nutriments libérés par la décomposition des autres cellules.
La traite, même réalisée dans des conditions d'hygiène satisfaisantes, s'accompagne toujours de contaminations par des microorganismes variés. Ceux-ci constituent une flore complexe qui se dissémine facilement et rapidement dans le lait du fait de son état liquide. En raison de la température du lait (37°C), de sa teneur élevée en eau (87, 5%), de ses éléments nutritifs et de son pH proche de la neutralité (6, 6–6, 8) de nombreuses bactéries y trouvent des conditions favorables à leur développement.
Celui-ci n'est généralement pas immédiat. Le plus souvent, il ne commence que dans les 3 ou 4 heures qui suivent la traite lorsque le lait est maintenu à température ambiante. Ce comportement désigné improprement sous le terme phase “bactéricide” ou phase “d'adaptation” est dû à la présence dans le lait fraîchement trait de substances antibactériennes connues sous la désignation générale de lacténines.
Ce
délai passé, les bactéries entrent en phase de multiplication. Toutefois ce
ne sont pas les mêmes espaces qui prédominent en raison du rôle sélectif de
la température. Lorsque le lait est maintenu entre 20°C et 40°C, ce qui
correspond souvent aux conditions ambiantes, ce sont habituellement les bactéries
mésophiles qui se multiplient. Parmi celles-ci les bactéries lactiques, en
particulier celles du genre Streptococcus, constituent habituellement la
flore naturelle majeure du lait. Elles se développent rapidement provoquant
l'acidification du lait et sa coagulation à température ambiante lorsque son
acidité est voisine de 60° Dornic (
degré Dornic = 0.1 gramme d'acide lactique par litre.)
Les
courbes de croissance et d'acidification d'une bactérie lactique mésophile
sont données à la figure 3. On remarque qu'il y a un décalage entre les deux
courbes. Il est à signaler que depuis quelques années, du moins dans les régions
où se sont développées des conditions modernes de production et de récolte
du lait (hygiène de la traite, traite à la machine à l'abri de l'air,
nettoyage et désinfection poussés, etc…) la flore lactique n'est généralement
plus dominante. Que celle-ci soit en nombre faible ou important elle est
accompagnée de germes saprophytes de pollution Gram négatif et Gram positif.
Parmi les premiers on trouve notamment des bactéries coliformes et des Pseudomonas.
Parmi les seconds non sporulés, des Microcoques et des Staphylocoques et parmi
les sporulés des Bacillus et des Clostridium. Ces divers
microorganismes parmi lesquels il peut exister des dominances, des associations
ou des antagonismes, constituent une flore variée susceptible d'altérer,
souvent de façon grave, la qualité hygiénique, technologique et
organoleptique du lait et, par suite, celle des produits avec lesquels ils
seront fabriqués malgré les traitements d'assainissement qui seront appliqués
après réception du lait à l'usine.
Figure 3 -
Courbes de croissance et d'acidification d'une bactérie lactique (D'après
ALAIS, 1975)
(1)
Phase de latence ou d'adaption. (2) Phase logarithimique (croissance active).
(3) Phase du maximum ou stationnaire. (4) Phase du déclin.